Certes, il n’a ni le charisme ni le talent politique de Barack Obama. Certes, il n’a pas été directement élu par les citoyens de l’Union Européenne, mais le locataire de la Maison Blanche non plus. Certes, il incarne cette Europe dont on ne veut plus, celle des arrangements bruxellois et d’une Union qui fait primer la voix des Etats avant celle de la démocratie. Mais hier, en ce 15 juillet 2014, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, après avoir porté le Parti Populaire Européen (Conservateurs) à la victoire lors des élections européennes au soir du 25 mai, a été élu Président de la Commission européenne par les eurodéputés par 422 voix « pour », 250 voix « contre », 47 abstentions, et 10 bulletins blancs.
Cet événement marque un tournant décisif dans l’histoire de l’Union Européenne. Pour la première fois, ce sont les citoyens de l’Union qui ont permis son élection, le parti de M. Juncker (le PPE) étant arrivé en tête lors des dernières élections européennes. Le Léviathan bruxellois se démocratise, et l’on ne peut que s’en réjouir. Pour la première fois aussi, les députés eurosceptiques, voire anti-Europe, constituent près de 25% de l’hémicycle. L’Europe voit donc ses ennemis s’installer en son cœur avec pour unique objectif de la faire imploser. A première vue désolant, ce constat est en réalité une chance pour l’Europe. A l’image de ce qui se pratique en Allemagne, les principaux partis européens (Conservateurs, Socialistes, et Libéraux) ont élaboré un programme de coalition dont Jean-Claude Juncker sera le maitre d’œuvre. Le danger que représente la récente poussée des eurosceptiques conduit donc nos décideurs européens à travailler en bonne intelligence et dans l’intérêt de l’Europe et des européens. Hier, dans son discours inaugural prononcé devant le Parlement européen, le nouveau Président de la Commission a fait preuve de pragmatisme et d’audace politique, en décrivant le tryptique gagnant de son quinquennat : investissement, croissance, emploi. Et pour cela, il n’a pas hésité à reprendre des thématiques chères à la gauche et aux écologistes, à savoir l’investissement de 100 milliards d’euros par an pour lutter contre le chômage des jeunes et redessiner les contours d’une nouvelle économie européenne réindustrialisée. "Le social doit être aussi au cœur de l'action européenne", a-t-il assuré, promettant de "lutter contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale, le dumping social". Ou comment montrer que la droite européenne a bien compris que la politique qu’elle a conduite ces dix dernières années sous la Présidence de José-Manuel Barroso n’a mené qu’à l’affaiblissement et de l’Europe et de l’idée européenne. Le défi pour M. Juncker sera de réussir à redonner vie à une Commission affaiblie qui, au regard de son bilan en ces temps de crise économique, n’a fait que trahir les attentes et les espérances des citoyens en pliant devant les désidératas du Conseil européen (la réunion des chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE). A charge également pour ce Luxembourgeois trilingue (il parle parfaitement le français, l'allemand, et l'anglais) d'impulser une nouvelle dynamique au sein du couple franco-allemand, rôle qui a souvent été dévolu aux dirigeants du Grand-Duché de par sa situation géographique et son statut de d'Etat fondateur de la communauté européenne.
En parallèle des réalisations économiques et sociales escomptées au cours de son mandat, Jean-Claude Juncker, "homme du passé" diront certains mais fédéraliste convaincu, a énoncé sa vision de l’Europe, laquelle doit redonner vie au « rêve européen ». Cette thématique commence à réapparaitre dans la bouche de certains learders européens, notamment chez Mateo Renzi, le jeune et flamboyant Président du Conseil italien qui assure la présidence tournante de l’Union Européenne pour les six prochains mois. Ces premiers pas vers un réenchantement du rêve européen sont de très bonne augure compte tenu de la désaffection grandissante des citoyens européens envers leurs institutions supranationales. La perspective d’un avenir commun dans lequel chaque citoyen européen puisse se projeter ainsi que la force des idées permettant de guider ce changement sont essentielles pour donner une seconde vie à l’Europe. Pas une si mauvaise idée en cette année de commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale…
Alors non, Jean-Claude Juncker n'est pas Barack Obama, mais il a clairement une carte à jouer dans cette nouvelle séquence qui vient de s'ouvrir. Il connait les rouages de Bruxelles sur le bout des doigts et s'est révélé fin négociateur lors de sommets européens capitaux. Il bénéficie d'un large accord de coalition propre à montrer au monde que l'Europe n'est pas qu'un géant économique, mais aussi une entité politique à part entière. Il a le soutien des chefs d'Etats conservateurs (Merkel, Rajoy...) et socio-démocrates (Hollande, Renzi...) afin de réorienter l'Europe - pour de vrai cette fois. Mais il se heurtera aux velléités des Etats qui chercheront à conserver le plus de pouvoirs possibles, comme à l'accoutumée, au nom de leur désormais obsolète "souveraineté nationale". A lui, donc, de faire repartir la machine européenne, à lui de continuer la démocratisation de l'Europe, à lui de redonner la foi et l'amour du vivre-ensemble aux Européens, à lui de rassembler l'Europe du Nord et l'Europe du Sud après cinq années douloureuses au cours desquelles le fossé n'a fait que se creuser, à lui de faire renaitre l'Europe après cette décennie manquée. But, can he ?